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Les requins baleine de la baie de Tadjourah à Djibouti

Le désespoir du photographe sous-marin.

Avez-vous déjà éprouvé le désespoir du photographe sous-marin ? Avez-vous déjà ressenti la terrible frustration d'être prêt à réaliser une photo exceptionnelle et qu'au moment de déclencher rien ne se passe comme prévu ? J'ai vécu cette expérience et aujourd'hui lorsque j'y pense, j'éprouve encore de terribles regrets. Tous les photographes professionnels savent que les occasions de réaliser de grandes photos dans une vie se comptent sur les doigts d'une main. Et encore avec beaucoup de chance !

Nous sommes à Djibouti. Après un long périple terrestre à la découverte d'une partie de la corne de l'Afrique, nous avons décidé de faire une croisière plongée. Après la découverte des îles des Sept Frères, nous faisons une halte de 2 jours dans la baie de Tadjourah pour observer et photographier une colonie de requins baleine. L'observation de ces grands poissons marins ne peut se faire qu'en utilisant des palmes, un masque et un tuba. En effet, ils sont très mobiles et se déplacent sans arrêt pour filtrer des quantités astronomiques de plancton. Si nous devions utiliser des bouteilles de plongée, nous aurions très peu de chances de réaliser des photos. La technique consiste à se déplacer avec un zodiac dans la baie, de repérer un ou deux requins baleine, puis de se mettre à l'eau pour réaliser des photos. Pour éviter d'ennuyer les animaux, nous nous mettons à l'eau deux par deux.

C'est notre seconde journée passée dans la baie à photographier des requins baleine. Nous avons déjà engrangé beaucoup de bonnes photos. La moisson a été très riche. Il faut dire que nous avons passé plus de 8 heures dans l'eau (16 heures à nous deux). Nous avons les clichés que nous voulions réaliser pour notre reportage. Je décide de prendre mon temps pour réaliser des clichés un peu différents. Je m'arrange avec Isabelle : je voudrai rester seul pendant 30 minutes. Elle ira nager un peu plus loin. J'ai l'impression que même si nous sommes deux sur une zone, nous effrayons un peu les requins baleine. Ils ne sont pas très grands (pas plus de 7 ou 8 mètres) et le battement des palmes ne les incitent pas à rester avec les plongeurs. Laurence, la directrice de plongée est d'accord pour me laisser seul. Elle me donne quelques recommandations et elle viendra me chercher dans 30 minutes. Je me dis que la probabilité de rencontrer un requin baleine est assez grande. J'espère qu'en étant seul, il ne sera pas effrayé et que je pourrai réaliser quelques clichés différents.

Le zodiac s'éloigne. Me voici seul. C'est un sentiment que j'adore. Mon caisson est mon unique compagnon. J'ai tout mon temps. Une demi-heure c'est très long. Je ne vois aucun requin baleine. Mais je ne suis pas inquiet. Je me dis qu'il y en a bien un qui va croiser dans les parages dans les quelques minutes à venir. Je décide de faire quelques apnées à 10 mètres pour bien m'échauffer et être prêt lorsqu'un animal se présentera. Quelques exercices respiratoires à la surface puis je fais ma première descente. C'est une sensation enivrante même si les apnées sont peu profondes. Comme je suis seul, sans sécurité à la surface, j'ai promis à Laurence de ne pas descendre plus bas. Je me contente de rester 20 à 25 secondes à chaque fois. Ce n'est pas la peine de risquer un accident avec des durées trop longues.

Après 15 minutes de solitude, toujours aucun requin baleine en vue. Je suis en train de me dire que j'ai adopté la mauvaise méthode. J'aurai peut-être du continuer à chercher avec le bateau gonflable. 20 minutes, toujours rien. Je décide de refaire une apnée pour passer le temps. Je descends tranquillement à dix mètres. J'ai réglé l'ordinateur pour qu'il émette un signal sonore à chaque fois que j'atteins cette profondeur. Le bip se fait entendre. Je me redresse. Je commence à faire un tour sur moi-même pour avoir si un requin baleine vient vers moi.

Soudain, je vois une ombre énorme à quelques dizaines de mètres. Elle est gigantesque. Ce requin baleine doit mesurer plus de 15 mètres. C'est incroyable dans cette région du monde. Nous en avons déjà vu de cette taille mais c'était à Darwin dans l'archipel des Galápagos. J'attends. Je suis impatient de voir le mastodonte émergé. La forme se précise. Ce n'est pas un requin baleine mais quatre qui arrivent droit vers moi la gueule grande ouverte. Ils ne sont qu'à 25 mètres de moi. Je sens une fulgurante poussée d'adrénaline. Je vais enfin réaliser une grande photo « gagnante ». C'est un spectacle extraordinaire qui s'offre à moi. Je n'ai jamais de photo avec 4 requins baleine en même temps. Je suis certain de réaliser la photo qui « tue ». Tout va très vite. Je vise à travers l'œilleton du caisson. Coup de chance, j'ai mis le 14 mm. Le champ angulaire est suffisant pour couvrir toute la scène. Je fais la mise au point. L'autofocus fonctionne parfaitement. Je déclenche. Rien ne se passe. Je force le levier. Rien à faire. Les quatre requins baleine avancent inexorablement. Mais que se passe-t-il ? Mon esprit travaille à cent à l'heure. J'ai de la batterie car l'autofocus fonctionne correctement. Peut-être ai-je appuyé trop fort sur le levier de déclenchement et qu'il s'est cassé ? Ils sont juste au-dessus de moi. C'est un énorme mur. Tout s'assombrit. Il n'y a pas que l'espace qui est sombre. Je suis désespéré. Je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à déclencher. Cela fait 7 ou 8 secondes que je m'escrime mais rien à faire. Je les vois s'éloigner loin de moi. Il est trop tard. Je n'aurai pas de photo gagnante. Je remonte à la surface complètement désespéré et amorphe. Je pousse un cri de désespoir.

Il faut que je comprenne ce qui s'est passé. J'ai de la batterie ; la mise au point fonctionne. Soudain j'ai l'illumination. Je regarde le compteur de photos restantes qui s'affiche dans le viseur : 0. Ma carte mémoire était pleine. Je fais défiler les photos. Je me rends compte que j'ai oublié de formater ma carte après les photos de la journée d'hier. Ce matin, j'ai continué de l'utiliser jusque la remplir. Quelle erreur ! Finalement tout est de ma faute. Maintenant il est trop tard. J'efface quand même quelques photos prises hier. On ne sait jamais. Il me reste dix minutes avant que le zodiac ne vienne me chercher. Mais la chance ne sourit qu'une seule fois. Le miracle ne se reproduira pas malgré mes incantations. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je réaliserai « la photo ».

Depuis cette mésaventure, je vérifie toujours le compteur de photos restantes et je déclenche toujours une fois avant de me mettre à l'eau. La chance ne vient qu'à ceux qui la provoque et qui vont la chercher. Je n'arrête pas ma course. Un jour c'est certain, elle me sourira de nouveau. En attendant ce moment qui ne devrait plus tarder, je trouve quand même que la vie est très belle.

Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
Requin baleine dans la baie de Tadjourah à Djibouti.
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