Tombant de Shark Reef. Nord de la Mer Rouge en Egypte
Ma plus belle plongée
C'est le troisième jour du voyage photo de photographie sous-marine que nous avons organisé. Comme chaque jour, je suis réveillé depuis 4 heures du matin. Comme il fait très chaud dans la cabine, je dors sur le pont supérieur du bateau. La cabine est climatisée mais comme je suis très sensible aux bronchites dues aux variations brutales de température, chaque soir, je choisis de dormir sur le pont supérieur sur un matelas en mousse. C'est un véritable bonheur de s'endormir sous la voûte céleste étoilée. Le plaisir est encore plus fort au petit matin quand le jour se lève. Aussitôt réveillé, je file dans le carré pour faire un thé et prendre deux gâteaux aux dattes. Ensuite, je m'installe sur une banquette du pont supérieur en attendant de voir le soleil se lever. Parfois, je suis rejoint par un ou deux plongeurs. Au cours de mes voyages, j'ai souvent constaté que de personnes connaissent et apprécient ce petit plaisir matinal. Le plus drôle est que le seul mot que nous échangeons est le bonjour matinal. Pendant une heure, chacun est dans sa bulle intérieure. C'est un moment privilégié, sans aucune parole, sans aucun bruit. Nous sommes en totale communion avec la Mer Rouge. Ce sont des instants où nous pouvons faire le point. Pour moi, ces matins ensoleillés sont des moments de bonheur pur. C'est notamment pour cette raison que j'aime les croisières plongée.
Aujourd'hui, j'ai été rejoint par le directeur de plongée qui s'occupe des plongeurs. Il s'appelle Marc Van Espen. Il travaille pour le club de plongée Dune. C'est un des deux meilleurs directeurs de plongée avec lequel j'ai travaillé. D'un commun accord, nous avons décidé de faire plonger le groupe sur le site de Shark Reef dans la réserve sous-marine de Ras Mohammed juste à la pointe du Sinaï. Shark Reef est un tombant très profond qui plonge à plus de 300 mètres. Un plongeur peut faire le tour du pic en 15 minutes. Il est très petit mais le tombant sud est absolument exceptionnel car il est couvert de coraux multicolores. L'autre caractéristiques de Shark Reef est la présence de plusieurs bancs de poissons composés chacun de plusieurs centaines d'individus. Le seul problème de Shark Reef est le courant. J'ai déjà effectué plus de 20 plongée sur ce site et à chaque fois, je suis resté seulement quelques secondes tellement le courant était violent. A chaque plongée, j'ai réalisé 3 ou 4 photos intéressantes. Ce courant violent qui vient du nord de la Mer Rouge permet de nettoyer l'eau. La visibilité est souvent exceptionnelle avec plus de 100 mètres. Il amène aussi beaucoup de nutriments. Ce qui explique la présence de tous ces bancs de poissons. Avec Marc, nous évoquons la beauté de ce site en se disant que ce serait vraiment extraordinaire si nous pouvions le plonger sans courant.
Il est 6h30 du matin. Le règlement qui régit la réserve de Ras Mohammed interdit aux bateaux de s'ancrer. C'est la raison pour laquelle les sites de plongée sont parfaitement conservés car les coraux ne sont pas cassés par les ancres ou les bouts d'amarrage. Nous embarquons dans un zodiac pour être largués juste au-dessus du tombant de Shark Reef. Ainsi si le courant est violent, nous ne pourrons pas manquer le site. J'ai le caisson collé sur le ventre. Je me laisse basculer en arrière. Le gilet est complètement dégonflé pour descendre le plus vite possible vers le tombant et essayer de m'abriter du courant, le temps de 3 ou 4 photos. Je commence la descente. Il n'y a aucun courant. C'est absolument incroyable. Quel cadeau ! Je suis déjà en train de penser que je vais avoir Shark Reef pour une heure sans avoir à palmer comme un furieux pour prendre une photo. Je regarde autour de moi. Nous sommes 8 photographes. Je suis tellement surpris par ces conditions exceptionnelles que je ne sais pas par où commencer. Je regarder le bleu. L'eau est absolument limpide. A quelques mètres de la surface, j'aperçois un banc de plusieurs centaines de vivaneaux noirs. Je nage tranquillement vers eux. Rien ne presse, j'ai tout mon temps. Je sais que je vais pouvoir passer une heure complète dans une totale liberté pour profiter pleinement des couleurs et des lumières. Soudain, je sens une énorme montée d'adrénaline. Cela m'arrive parfois quand je suis très heureux. C'est une sensation que j'adore. C'est curieux à expliquer mais je suis comme submergé par une immense vague de bonheur. J'ai eu l'occasion de discuter avec d'autres plongeurs photographes qui ont déjà éprouvé cette sensation. L'un d'eux l'a comparé à une sensation orgasmique. Je commence ma série sur les vivaneaux. Ils sont impassibles. Le banc est compact. J'en profite un maximum.
Après quelques minutes, j'aperçois légèrement en contrebas, un banc de platax nageant nonchalamment. Décidemment, cette plongée a quelque chose d'exceptionnel et d'incroyable. Je nage doucement vers ce nouveau banc qui s'offre à moi. Je m'équilibre. J'attends patiemment que les poissons soient dans le soleil. C'est absolument étonnant. Je n'ai rien à faire. Les compositions se créent d'elles-mêmes. Je n'ai juste qu'à cadrer, ajuster mes expositions puis à déclencher. Je réalise une excellente série de clichés. Je commence à me diriger vers le tombant pour réaliser quelques photos d'ambiance quand je vois un banc de nasons se former un peu plus bas. Je décide de continuer de photographier les poissons. C'est tellement inhabituel qu'il vaut mieux que je saisisse ma chance. Arrivé à 30 mètres, une nouvelle sensation de bonheur m'envahit. Décidemment, c'est un jour qui restera dans ma mémoire. Arrivé à 40 mètres, le banc est là, devant moi. Habituellement, ce sont des poissons très craintifs qui se sauvent à la vue des plongeurs. Aujourd'hui, ils sont calmes. Je peux les approcher. C'est comme si mes vagues de bonheur internes se propageait au milieu environnant. Je n'ai pas toujours pas résolu l'énigme mais l'important est que ce banc de nasons était là pour moi. Impossible de rester plus de 4 minutes à cette profondeur. Je réalise 5 clichés puis je décide de remonter doucement le long du tombant.
Arrivé à 20 mètres, je commence mes photos d'ambiance. Je suis toujours au nirvana. Les coraux sont magnifiques et la visibilité est exceptionnelle. Je prends mon temps pour choisir mes compositions, bien cadrer et choisir les meilleures expositions possibles. Je respire à peine. Je sais que c'est contraire aux règles de la plongée mais je fais de petites apnées pour prolonger ce moment magique. J'ai envie qu'il dure le plus longtemps possible. Quel dommage que je ne plonge pas avec le recycleur. Tant pis, je dois profiter le plus possible de ce moment de bonheur qui m'est offert. Après une heure passé sous l'eau, mon manomètre indique 40 bars. Il est temps de remonter. Une fois arrivé au palier, je gonfle mon parachute. Je suis en train de réaliser que je viens de vivre un moment exceptionnel dans ma vie de plongeur.
Aujourd'hui, je totalise plus de 3500 plongées. Je suis heureux d'avoir vécu cette plongée magique et unique. Pourtant, je n'ai pas vu de baleine, de dauphin ni de requin. Je n'ai rien vu d'exceptionnel au sens où les plongeurs l'entendent habituellement. Juste des bancs de vivaneaux, de platax et de nasons le long d'un tombant coloré. C'est inexplicable mais j'ai réalisé la plus belle plongée de toute mon existence. C'est ainsi. C'est comme en photographie terrestre. Les plus grands moments sont souvent faits de petites choses qui n'appartiennent qu'à nous-mêmes. Nous ne pouvons pas expliquer notre bien-être et nos sensations.
Je suis simplement bien. La vie est belle.






